Quand le silence relie

Silence - lettre #3

Les mots qui réparent
4 min ⋅ 02/04/2025

Ma dernière lettre s’intitulait « cendres », et jamais je n’aurais pu imaginer que ce mot prenne subitement une réalité si concrète : celle des cendres de mon père. Voilà la raison de mon silence épistolaire la semaine dernière.

« La mort tombe dans la vie comme une pierre dans un étang : d’abord, éclaboussures, affolements dans les buissons, battements d’ailes et fuites en tout sens. Ensuite, grands cercles sur l’eau, de plus en plus larges. Enfin le calme à nouveau, mais pas du tout le même silence qu’auparavant, un silence, comment dire : assourdissant. » Christian Bobin

Il est si bruyant, le silence des morts. J’écris des mots sans voix, des mots-béquilles. Des souvenirs en paquet bombardent ma tête. Je vois des mots, des images, des sons, comme si des archives se déversaient en vrac. Puis je tombe sur une citation de Saint-Exupéry : « La mort est un nouveau réseau de relations avec les idées, les objets, les habitudes du mort. Elle est un nouvel arrangement du monde. Rien n’a changé en apparence, mais tout a changé. »

Ce nouvel agencement, je l’ai d’abord senti en poussant la porte de l’appartement de mes parents. J’ai compris qu’en apparence rien n’avait bougé, mais que chaque objet, chaque son, chaque odeur prenait subitement une autre signification. Ma perception n’était plus la même. Ces mots de Saint-Exupéry résonnent en moi pour toutes les petites et grandes morts qui m’habitent. Le burn-out, par exemple, a lui aussi œuvré à transformer silencieusement mon regard. Avant, ma vision du monde s’était fixée des objectifs, des ambitions, des trajectoires pré-tracées vers de soi-disant réussites. Un monde imaginaire, entièrement bâti pour m’apporter une certaine tranquillité. Je consacrais toute mon énergie à essayer de contrôler l’exécution de plans préétablis, à répondre à des attentes, des exigences.

Tous ces plans sont partis en fumée. Et pourtant, la vie est restée, dans sa nudité la plus extrême. Un nouveau point de vue est apparu, la vie a fleuri dans une autre direction. Doit-on parler d’échec ou de réussite ? La vie coule. Et si c’était aussi simple que cela ?

« On ferme les yeux des morts avec douceur ; c’est aussi avec douceur qu’il faut ouvrir les yeux des vivants. » Jean Cocteau

Avant de partir, papa a avalé deux pâtes de fruit et a serré fort ma main dans la sienne. Je lui ai dit bonsoir, « à demain ». Quand le téléphone a sonné à 4h du matin, « demain » était devenu un aujourd’hui, un « demain » qui n’existait plus.

Depuis une semaine, je marche dans l’aujourd’hui – un cadeau que papa m’a fait en partant avec ce « demain ». Ce présent m’invite à ralentir, à écouter autrement. Nous approchons à grands pas des vacances de printemps, et je me surprends à observer ce temps différemment. Là où les plannings de certains se remplissent, comme pour mieux profiter, entre activités et divertissements, la chasse aux soi-disant « temps morts » oublie trop souvent ce besoin profond de ne rien faire, de tremper dans l’ennui. Pourtant, quand j’écoute le mot vacance, j’entends l’écho de sa vacuité. Que réveille la vacance en vous ? Comment écoutez-vous ce silence ?

C’est là, dans cette pause, que la méditation prend pour moi tout son sens. Elle est cet état d’abandon, le déploiement du neuf dans le silence. La pensée s’éteint – un état que j’aime aussi appeler contemplation. Car ce silence intérieur n’est autre que la découverte de mon propre paysage.

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Les mots qui réparent

Les mots qui réparent

Par KIKKA

Je suis Laure-Emmanuelle Degen,  Kikka l’auteure du roman « Je ne te pensais pas si fragile » publié aux Editions Eyrolles. La publication de cette auto-fiction a été le franchissement d’un pont entre la directrice commerciale et marketing qui a œuvré pendant plus de vingt ans à des postes de business développement et la femme auteure qui par la voie du verbe arpente les chemins d’un pèlerinage vers Soi. Très loin des modèles prédestinés, je marche souvent à contrecourant d’un certain conformisme du monde. Aujourd’hui, écrire, lire  méditer sont les activités qui me nourrissent. Même si vivre en écriture et vivre de l’écriture ne se rejoignent pas toujours, le courage et la poésie m’aide à avancer. Conceptrice et animatrice d’atelier d’écriture, coach , j’anime aussi des conférences en matière de prévention sur des sujets de santé mentale. Je parle avant tout depuis une expérience.  Aujourd’hui l’écoute intérieure est au cœur de mon attention. Je souhaite à travers cette newsletter établir un correspondance authentique qui n’a aucune visée ni aucun objectif autre que celui d’accompagner le mouvement de la vie. J’aime l’idée romantique d’éveilleuse de mots et de passeuse de textes.