Silence - lettre #3
Ma dernière lettre s’intitulait « cendres », et jamais je n’aurais pu imaginer que ce mot prenne subitement une réalité si concrète : celle des cendres de mon père. Voilà la raison de mon silence épistolaire la semaine dernière.
« La mort tombe dans la vie comme une pierre dans un étang : d’abord, éclaboussures, affolements dans les buissons, battements d’ailes et fuites en tout sens. Ensuite, grands cercles sur l’eau, de plus en plus larges. Enfin le calme à nouveau, mais pas du tout le même silence qu’auparavant, un silence, comment dire : assourdissant. » Christian Bobin
Il est si bruyant, le silence des morts. J’écris des mots sans voix, des mots-béquilles. Des souvenirs en paquet bombardent ma tête. Je vois des mots, des images, des sons, comme si des archives se déversaient en vrac. Puis je tombe sur une citation de Saint-Exupéry : « La mort est un nouveau réseau de relations avec les idées, les objets, les habitudes du mort. Elle est un nouvel arrangement du monde. Rien n’a changé en apparence, mais tout a changé. »
Ce nouvel agencement, je l’ai d’abord senti en poussant la porte de l’appartement de mes parents. J’ai compris qu’en apparence rien n’avait bougé, mais que chaque objet, chaque son, chaque odeur prenait subitement une autre signification. Ma perception n’était plus la même. Ces mots de Saint-Exupéry résonnent en moi pour toutes les petites et grandes morts qui m’habitent. Le burn-out, par exemple, a lui aussi œuvré à transformer silencieusement mon regard. Avant, ma vision du monde s’était fixée des objectifs, des ambitions, des trajectoires pré-tracées vers de soi-disant réussites. Un monde imaginaire, entièrement bâti pour m’apporter une certaine tranquillité. Je consacrais toute mon énergie à essayer de contrôler l’exécution de plans préétablis, à répondre à des attentes, des exigences.
Tous ces plans sont partis en fumée. Et pourtant, la vie est restée, dans sa nudité la plus extrême. Un nouveau point de vue est apparu, la vie a fleuri dans une autre direction. Doit-on parler d’échec ou de réussite ? La vie coule. Et si c’était aussi simple que cela ?
« On ferme les yeux des morts avec douceur ; c’est aussi avec douceur qu’il faut ouvrir les yeux des vivants. » Jean Cocteau
Avant de partir, papa a avalé deux pâtes de fruit et a serré fort ma main dans la sienne. Je lui ai dit bonsoir, « à demain ». Quand le téléphone a sonné à 4h du matin, « demain » était devenu un aujourd’hui, un « demain » qui n’existait plus.
Depuis une semaine, je marche dans l’aujourd’hui – un cadeau que papa m’a fait en partant avec ce « demain ». Ce présent m’invite à ralentir, à écouter autrement. Nous approchons à grands pas des vacances de printemps, et je me surprends à observer ce temps différemment. Là où les plannings de certains se remplissent, comme pour mieux profiter, entre activités et divertissements, la chasse aux soi-disant « temps morts » oublie trop souvent ce besoin profond de ne rien faire, de tremper dans l’ennui. Pourtant, quand j’écoute le mot vacance, j’entends l’écho de sa vacuité. Que réveille la vacance en vous ? Comment écoutez-vous ce silence ?
C’est là, dans cette pause, que la méditation prend pour moi tout son sens. Elle est cet état d’abandon, le déploiement du neuf dans le silence. La pensée s’éteint – un état que j’aime aussi appeler contemplation. Car ce silence intérieur n’est autre que la découverte de mon propre paysage.
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